Biographie

Andrzej Malinowski Sa vie en cinq clivages, par Jola Zielińska

(Juin 2008).

 

Extraits :

Andrzej Malinowski est né à Varsovie en Pologne.

Issu d’une famille modeste, il a vécu son enfance dans un climat d’après-guerre teinté par un gris foncé et par les drapeaux rouges.

Se sentant comme dans un tunnel oppressant, il lui fallait une lueur, tout au bout. Cette lumière au bout du tunnel s’est révélée être le «beau idéal». Il s’est mis à la poursuite éperdue de cette lueur.

Il a lu tout ce qui pouvait lui tomber sous la main. Il a piégé au fond de son cœur les rares bribes d’une belle musique passant à la radio. Ayant la chance d’avoir accès aux instruments de musique grâce à un grand-père luthier, il a gratté les cordes des instruments en bois. Mais surtout et avant tout, face au monde merveilleux des images, il a dévoré à la manière d’une pompe aspirante tout ce qui lui passait sous les yeux : les tableaux des églises du quartier (influence maternelle), les images de propagande communiste côté paternel, des rares souvenirs de musées…

Tout cela a été un enchantement permanent sans aucun filtrage extérieur ni ordre de valeur.

A chaque découverte, un monde nouveau s’ouvrait à lui.

L’enfant envoûté s’est dit naturellement qu’il pourrait être un «envoûteur» et s’est essayé à quelques dessins et aquarelles. Ceux-ci, à sa grande surprise, ont séduit son entourage. Il s’est mis, alors, à perfectionner son savoir naissant. Et c’est ainsi que la vie lui a fait miroiter la carrière artistique. Petit à petit, en grandissant, ses choix et ses terrains de chasse se sont affirmés. Il s’est mis à lire les grands classiques et il a découvert les grands noms de la peinture mondiale à travers les reproductions dans les livres d’art. C’est ainsi qu’il a vu Vermeer, Rembrandt, même si les reproductions ne correspondaient pas à la réalité et même si par la suite il a découvert d’autres créations, il n’a jamais quitté les amours de son enfance.

Sans savoir très bien qui il était et ce qu’il pouvait faire de sa vie, au moment venu, il a réussi néanmoins son examen d’entrée à l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie. Il y a passé six ans dans un contexte artistique où «sans Marcel Duchamp, point de salut» – la conceptualisation d’art était en marche.

Pour quelqu’un qui voulait peindre comme Vermeer ou Rembrandt, l’entreprise a été ubuesque.

En collaborant en bon élève, il a réussi son diplôme de maîtrise de l’Académie de Beaux-Arts à Varsovie en 1973. Cette période a été heureuse et a eu l’avantage de ne pas traumatiser ni transformer en profondeur l’âme du jeune diplômé.

Cependant, il s’est trouvé face à deux sentiments opposés : celui d’être revenu sur le point de départ et celui de vouloir partir loin. L’image fantasmée de Paris, comme l’Arcadie des Arts et des Lettres, a provoqué le départ vers la France.

Les valises pleines d’espoir, d’ambitions et de rêveries, il fallait faire face aux réalités de sa nouvelle vie, tout en la gagnant le plus vite possible, d’autant plus qu’au passage, un bébé était mis en route. Comment faire pour gagner sa vie dans un pays étranger sans connaître la langue et sans aucune relation ?

Le créneau du dogme duchampien étant toujours écarté, après avoir testé quelques options de survie, il a opté pour l’illustration, le domaine où la peinture figurative «bien faite» et narrative n’était pas bannie. Le 1 er prix de l’Affiche de cinéma gagné au Festival de Deauville (1977) a confirmé son choix.

Durant la période 1974 – 1977, il a réussi à imposer son nom dans les domaines de l’illustration publicitaire et de l’affiche de cinéma. Il a illustré, illustré, et illustré en associant son nom aux signatures prestigieuses de la publicité et du cinéma, de l’audiovisuel, de l’édition et de la presse. Il a obtenu de nombreux prix, des récompenses, des honneurs et a assuré la présidence de jurys.

En 1982, il obtient la nationalité française.

Hélas ou heureusement, l’emprise grandissante du pouvoir collectif de directeurs commerciaux «nouvelle génération» sur la communication audiovisuelle a réduit en peau de chagrin les espaces d’originalité et de sensibilité artistiques. L’arrivée d’une nouvelle technologie d’imagerie numérique a également rendu caduque la notion de personnalité artistique dans ce domaine, tout au moins à ses débuts.

Dans ce contexte, Andrzej Malinowski se trouvant devant le dilemme «d’être» ou «d’avoir», il a fait le choix de quitter le giron bien gras mais étouffant du show business et de devenir à 45 ans, un «jeune» artiste peintre.

Il a quitté Paris pour les vallées verdoyantes du Val d’Oise, un des plus beaux coins de l’Ile de France, où les forêts environnantes, les vues imprenables et les relations humaines de qualité ont donné un nouvel élan à sa vie et à son travail.

Il a repris ses valises, les a ouvertes et a trouvé au fond, bien froissés et asséchés, des vestiges d’espoir, d’ambitions et de rêveries, auxquels il a ajouté ce qui lui restait de l’aventure «illustration» : LE SAVOIR PEINDRE ET COMMUNIQUER ÀTRAVERS LES IMAGES. En artiste peintre indépendant, il s’est mis à chercher les thèmes de sa peinture et tout naturellement, il a opté pour ce qui portait à ses yeux le rêve et la promesse du bonheur ressenti et partagé : la Femme «à rêver devant» et le Paysage «à s’y promener dedans».

Le fait que ces thèmes ont déjà été explorés d’une manière universelle et depuis toujours, a renforcé ce choix.

C’était la preuve que ces «sources à rêve» sont aimées et inépuisables.

Certes, pour faire «grand et fort», il aurait pu à grand coup de barbouille traiter le thème de la souffrance, LE BONHEUR ÉTANT MOINS PHOTOGÉNIQUE QUE LA DOULEUR. Pudiquement il a choisi de ne pas montrer ses tripes aux autres, mais plutôt de déployer les plumes bleues de son dos.

Le succès a été quasiment immédiat, ses tableaux ont trouvé des marchands séduits et des collectionneurs enflammés.

article

 

Jolanta Zielińska


Interview

Extraits d’une interview entre
Andrzej Malinowski et Frédéric Chappey,

conservateur du musée d’art et d’histoire Louis Senlecq (mai 2004).

interview1

Les allégories, les ailes, les drapés qui s’envolent,
est-ce toujours de l’«art contemporain» ?
Je pourrais dire que «oui» en toute ingénuité, puisque
je suis contemporain du monde dans lequel je vis,
en m’adressant à mes contemporains à travers
mon œuvre.

Hélas, la mainmise des héritiers illégitimes
de l’Art Moderne a transformé l’expression
«Art Contemporain» en «logotype breveté»
d’un modèle exclusif d’une pensée et d’une action.

Le modèle qui nous est proposé ou plutôt imposé
par les «designers d’un goût officiel», m’indispose
sur de nombreux points.

Les révolutions n’apportent que la destruction ;
les nouveautés sont si souvent dérisoires et
éphémères;les manifestes sonnent creux.

Dans l’œuvre d’art, ce n’est pas l’objet en lui-même,
ni la philosophie qui l’accompagne mais
sa MAGIE RARE (loin d’être acquise d’office)
qui lui donne sa valeur inestimable.

Cette magie n’a pas besoin d’un «POURQUOI».

Elle a besoin par contre de repères historiques
et culturels, d’une certaine communion des esprits.

Or il y a un monde entre le «désir de s’envoler»,
«d’être
capable de fabriquer ses ailes, apprendre à voler»
et «pouvoir emmener les autres dans son délire très
loin et très haut, à travers les cultures et le temps».

interview2

Concrètement, il y a plusieurs niveaux de qualité
d’engagement artistique. Il y a l’engagement de celui
qui se déclare artiste parce qu’il a des choses
«pertinentes» à dire et dans la majorité des cas, dénie
la transformation de ses idées en chef d’œuvre, laissant
cette «basse besogne» aux suiveurs et artisans.
Cette vision n’est que «l’enflure du petit moi
du soi-disant artiste» (Jean-Louis Harouel).

Dans la seconde posture, Il y a celui qui consacre toute
sa vie et toute son énergie dans l’apprentissage et le
perfectionnement de son savoir, de traduire ses
pensées
et ses émotions par la matière et l’image ainsi figée.

La noblesse de ce choix est contraire à une mise
en scène personnelle, d’une pose narcissique.
Elle demande à l’artiste un déni de soi, une patience
et un courage sans bornes et sans fin…

La vraie valeur de l’œuvre est le fruit de cet engagement,
la valeur infiniment supérieure à une production
cynique constamment mise à jour et usinée à la chaîne
pour combler les grandes surfaces du marché de l’art.

Enfin dans les cas rarissimes et exceptionnels – et nous
ne serons plus de ce monde pour en juger – il y a celui,
dont l’œuvre par sa seule puissance visuelle, se libère
de son époque, de son anecdote, et devient une source
inépuisable des émotions de curiosité, de plaisir
à travers le monde et les époques…

Sur ce pouvoir «d’emmener l’autre avec soi» devrait
se baser l’estimation de la qualité d’une œuvre,
de sa pertinence et de sa performance.

LA PUISSANCE D’ÉVOCATION D’UN TABLEAU SE TROUVE
DANS LE VISUEL QU’IL CONTIENT ET DANS LA MAGIE
D’UN OBJET SAVAMMENT RÉFLÉCHI ET TRAVAILLÉ.

AUCUNE THÉORIE NI AUCUN DISCOURS
NE PEUVENT REMPLACER CELA.

interview3

JE NE CROIS PAS QUE LA RÉFLEXION PRIME
SUR L’ÉMOTION, QU’UN REGARD DÉSENCHANTÉ
VAUT MIEUX QU’UN REGARD ENCHANTÉ,
QUE LE NOUVEAU EST FORCÉMENT MEILLEUR
QUE L’ANCIEN.

interview4

J’évite donc tout ce qui pourrait me classer dans une
«démarche contemporaine type». Le «nouvisme»
et «l’avant-gardisme» ne sont, selon moi, qu’une
illusion myope, une prétention à court terme.

interview5

 

Le mouvement «en avant»
n’existe pas dans la création; le

«progrès» s’il y en a un, forme une
Spirale, un éternel retour aux
choses.

Tout ce qui vient d’être fait a déjà
été fait d’innombrables fois, et il
sera recommencé sans fin, parfois
en mieux, parfois en moins bien.

Pour moi, l’art est une manière de vivre face
aux Autres, pour les Autres ;
c’est créer un pont d’émotions communes.

C’est une contrainte d’asservir L’IDÉE
à sa fonction première d’un GERME DONT
NOUS NE SOMMES PAS LES PROPRIÉTAIRES.

Etre Artiste suppose l’obligation d’humilité face à tout
ce qui a été créé à travers les siècles, l’obligation
de reconnaissance pour l’héritage à transmettre.

Et même si les lumières des projecteurs sont trop
souvent braquées vers des démarches d’un autre type,
il faut CROIRE à une démarche sincère,
à l’émotion vraie, au plaisir de recevoir et de donner,
toujours et encore.

Que faire dans un monde
où ceux qui parlent vite et fort
font de l’ombre à ceux qui chantent
doucement et de belle manière ?

CHANTER ENCORE PLUS DOUCEMENT
DE LA PLUS BELLE MANIÈRE QU’IL SOIT.

interview6

Pourquoi avoir choisi les trois sujets : 
le temps, le paysage, la femme ?

Je peins les paysages comme s’ils étaient des femmes,
je peins les femmes comme les paysages, les horloges
comme les paysages à travers le temps et la féminité.
Je crée des sculptures composées de pages d’Ecriture
qui s’entrouvrent sous nos regards comme
les mystères de la féminité.

En fait, mon travail concerne le même sujet.

Le thème de la femme dans l’art est universel
et éternel, sa richesse est sans limite.

Je suis loin de me limiter à une simple contemplation
des formes féminines, tout en étant parfaitement
conscient du puissant appel qu’elles peuvent provoquer.
Je multiplie donc les efforts pour exprimer de mon
mieux la beauté de la Femme, elle est mon Alliée dans
mon besoin de subjuguer le regard de mon spectateur.

Mes efforts vont plus loin, je m’acharne à amener
le résultat aux confins du sublime, pour que le regard,
une fois piégé, soit stoppé par un sentiment
d’intouchable ; alors la Magie opère, la femme-modèle
n’est plus, la Divine apparaît.

interview7

Cela va au-delà du fait que je peins les femmes comme
je voudrais qu’elles soient.

Je pars à la recherche de ce que je pourrais appeler
«l’idolâtrie profane».

Je dois être séduit à tout jamais par l’imagerie
millénaire des déesses de Byzance, de la Grèce et de
la Rome antiques, des symbolistes de la fin du XIX e ,
des Stars glamour en noir et blanc de la Photographie
et du Cinéma, des défilés de la Haute Couture…

L’envoûtement est toujours similaire, la Séduction
s’oppose à l’interdit ou à l’inaccessible.

C’est peut-être cette opposition qui participe de concert
avec le Beau au rayonnement du Transcendant.

Dans mes tableaux, les fonds dorés à la manière des
Icônes Byzantines, les lumières émanant des corps,
les têtes auréolées, les envolées des drapés et enfin
les ailes suggérées sont autant de métaphores pour
illustrer ce rayonnement.

Mes Belles apparaissent, venant de l’Ombre vers
la Lumière, telles des Symboles intemporels d’espoirs,
de bonheur, de pudeur, de charme, de mystère…

J’AIMERAI QU’ELLES APPORTENT,
À CELUI QUI VEUT,
DES BRASSÉES ENTIÈRES
DE SÉRÉNITÉ, D’HARMONIE ET DE BONHEUR.

interview8

Quelques mots sur votre technique et la manière 
de travailler ?

Le choix de mes thèmes est longuement réfléchi
et soigneusement «mis en scène». Ensuite vient
la création d’harmonie des couleurs et des matières
correspondant à la composition.

Le choix d’un modèle est capital, non seulement
pour sa beauté mais aussi pour sa grâce, sa patience,
ses capacités à «jouer un rôle». Les drapés et leur
confection jouent un rôle important.

Le travail des dessins préparatifs peut prendre
des semaines. Il m’arrive d’avoir dans les cartons
des maquettes qui attendent des mois entiers,
tant il m’est difficile d’être sûr qu’il ne manque rien
à la composition.

La préparation des toiles et des couleurs est
également longue et méticuleuse. La toile est sans
nœud et son grain est suffisamment fin pour ne pas
déranger le subtil grain de peau de mes personnages.

Je prépare moi-même les mélanges de couleurs,
cela peut prendre plusieurs jours, mais cela en vaut
la peine.

Ma peinture se compose de dizaines de couches
résineuses et transparentes nécessitant à chaque
fois un séchage complet. C’est la technique du glacis
de la peinture flamande qui permet d’obtenir l’effet
troublant d’une surface vivante de la peau.

Les surfaces métallisées sont obtenues avec des
poudres ou à la feuille en plusieurs nuances.
La surface ainsi obtenue a une capacité d’apparaître
ou de disparaître aux yeux du spectateur selon
l’éclairage mouvant.

Après tout, l’Art n’est qu’un Artisanat sublimé
par l’alchimie du vécu, du savoir, de l’imagination
et des émotions.

A ceux qui veulent connaître davantage mes secrets,
je me plais à répéter que surtout et avant tout,
le médium principal et irremplaçable est «l’huile
de coude».


Articles de presse

ARTS ACTUALITÉ MAGAZINE

N° 147 – Juillet-Août 2005 par Thierry Sznytka

Magiques, féeriques, les vocables ne manquent pas pour
qualifier cette peinture qui stimule l’imaginaire, tant
l’artiste élabore avec maestria un monde d’une grande
richesse.

Dans cet univers dédié à la beauté, les femmes
découpent leurs silhouettes avec une élégance discrète
qui flirte avec la perfection. Elles dégagent une aura aux
sensations émotionnelles infinies. Andrzej Malinowski
magnifie l’image féminine, propulsant ces égéries de
l’ombre vers la lumière dans une pose extatique qui
sublime le caractère de la scène. La séduction opère,
née de la richesse de ces harmonies lumineuses qui
envahissent l’espace de leur force intérieure. Le mélange
de couleurs joue avec les transparences pour offrir à ces
compositions un caractère ineffable, conditionné par
la grâce de la pose et la subtilité de l’expression.

Chaque toile est un univers singulier propice à susciter
le rêve, en divinisant l’image de la femme. La beauté
à la fois charnelle et formelle acquiert une valeur
intemporelle qui dépasse le phénomène de la simple
représentation figurative. Travaillé à la manière des
Icônes Byzantines, l’arrière plan mélange les pigments
naturels et la feuille d’or dans une alchimie complexe
qui participe à la création d’un sentiment de préciosité.
Dès lors les personnages apparaissent auréolés de cet
écrin pictural, qui met en valeur leur beauté à la fois
mystérieuse et emblématique. Les drapés, les ailes
suggérées, les yeux mi-clos, contribuent à transcender
le réalisme pour flirter avec un mysticisme de pensée.
Nous sommes ailleurs, dans un univers sublime
entièrement dédié à la beauté, qui s’ouvre au spectateur
comme une énigme sur la vie.

La maîtrise du dessin et l’incroyable subtilité
chromatique, alliées à une technique irréprochable,
font de ces toiles des œuvres rares, capables de montrer
le visible et de faire découvrir l’invisible. D’autant que
l’artiste se plaît à préserver la discrétion des symboles
qui se cachent dans ses décors. La richesse
iconographique rivalise avec la subtilité de la matière
pour écrire une œuvre porteuse d’espoir. Tel un grand
compositeur, Andrzej Malinowski entraîne le spectateur
à la découverte de son royaume, réussissant
à faire perdre la perception du réel pour entrouvrir
les portes d’un monde parallèle, aux dimensions
spirituelles.

Classique dans son écriture et original dans son
approche picturale, cet artiste s’inscrit parfaitement
dans la recherche de qualité engagée par les galeries
Bartoux qui l’exposent en permanence.

 

ARTS ACTUALITÉ MAGAZINE

N° 165 – Novembre-Décembre 2008 par Valère-Marie
Marchand

Byzance, silence et essence, tels sont les trois thèmes
de cette exposition que l’on visite avec un grand plaisir
au Musée d’art et d’histoire Louis Senlecq, à l’Isle Adam.
Cette rétrospective qui est une première en France nous
propose un tour d’horizon assez complet sur
la démarche de cet artiste atypique, à la fois portraitiste
et excellent paysagiste. Les uns apprécieront ses
portraits qui ne sont pas sans rappeler les effigies
de l’Art Nouveau. Les autres préféreront la série
de paysages empreints de mysticisme et de poésie.
Certains enfin songeront à Alphonse Mucha et
à Gustav Klimt et seront séduits par le regard enchanté
de cet enchanteur. Où commencent les sortilèges
du regard ? C’est sans doute l’une des questions
subsidiaires de cette œuvre qui pourrait se définir
comme un voyage du visible vers l’invisible.

Connu pour ses nus lumineux, aux yeux mi-clos,
ses drapés de matières et ses icônes de la féminité,
Malinowski peut aussi faire du moindre paysage
entrevu une imagerie intemporelle. “Pour moi, nous dit-il
volontiers, l’art est une manière de vivre face aux autres,
pour les autres. C’est créer un pont d’émotions
communes.” Pour nous, l’œuvre de Malinowski s’inscrit
à coup sûr dans ces univers du silence qui tournent
résolument le dos à la facilité et à la surenchère visuelle.
Fantastique, symboliste, onirique… Les adjectifs ne
manquent pas pour qualifier cet univers pictural qui se
situe toujours à la frontière du monde tangible
et qui semble transcender chacune de nos perceptions.

Le sommeil et le temps suspendu- autres thèmes chers
à l’artiste – hantent en effet cette réflexion sur l’acte de
voir. Avec Malinowski, on n’est, en effet, jamais loin de
la clef des songes et l’on finit toujours par bifurquer vers
une dimension insoupçonnée. Le conte de fées et le
merveilleux ne sont pas étrangers à cette galaxie
peuplée de bons et mauvais génies, à ce monde
parallèle où règnent des déesses et des divinités d’un
autre âge, à ce royaume ignorant les aléas du temps
pour le grand bonheur de ses nymphes et de ses belles
aux bois dormants…

 

Résidant aujourd’hui à la campagne, Andrzej
Malinowski est l’un de ces peintres qui savent se
construire et se préserver des modes. Intemporelle et
sereine, son œuvre joue à dessein sur nos démarcations
intérieures. Il en résulte une traversée des apparences
qui va au-delà de la simple contemplation des formes…

 

VIVRE EN VAL D’OISE

N° 62 – Juin-Juillet-Août 2000 par Patrick Glâtre

En 1988, la France entière puis le reste du monde
découvrent, médusés, un film étrange qui va devenir très
vite culte pour toute une génération. Le Grand Bleu,
de Luc Besson, bat tous les records de fréquentation.
Au-delà de l’intrigue, la musique d’Éric Serra et l’affiche
d’Andrzej Malinowski contribuent elles aussi au succès
du film. L’affiche représentant une silhouette humaine
accompagnée d’un dauphin au milieu d’une mer
immense, éclairée par la lune, est l’œuvre d’un artiste
valdoisien.

“Luc Besson connaissait mon style de travail, mon goût
pour la nature et les paysages imaginaires, ma
dominante bleue et ma rêverie naturelle, raconte
Andrzej Malinowski. Je n’avais pas le droit de voir les
rushes du film. Il m’a seulement demandé d’évoquer
l’infini bleu avec beaucoup de poésie. Les idées me sont
ensuite venues comme les éléments d’un poème :
évoquer la lumière en pleine nuit, tendre un miroir
entre les flots et l’horizon, traduire l’amitié entre
l’homme et l’animal par le toucher du doigt.
La représentation de la plongée en apnée prend, elle,
sa symbolique par l’envol des deux personnages hors
de l’eau”.

Le support publicitaire du Grand Bleu véhicule
un mythe universel et, chose rarissime, fera le tour
du monde en franchissant les barrières culturelles
des autres pays, sans connaître aucune transformation
ou modification.

Trois ans plus tard, Jean-Jacques Beinex choisit le
Polonais pour son film IP5. Le hasard faisant bien les
choses, l’affiche de IP5 est la réplique «verte» de
l’affiche du Grand Bleu. Là encore, les personnages sont
minuscules, perdus au milieu d’une immensité, reliés
par un geste d’amitié.

Andrzej Malinowski peint les paysages. Pas d’une façon
naturaliste. Il crée pour nous des fenêtres donnant sur
un rêve, un ailleurs où on aimerait se promener.
“C’est l’espérance d’un captif d’un horizon lointain”.
Un lointain intérieur, évoquerait Michaux…

Le poème culte de toute la Pologne, Monsieur Thaddée
écrit par le poète romantique Adam Mickiewicz
(et adapté récemment à l’écran par Andrzej Wajda),
commence par les vers évoquant un paysage lituanien
de son enfance, un univers idyllique rempli de nostalgie,
tout cela pour le «réconfort d’une âme émigrée».
“Sans préméditation, je me retrouve assez dans cette
démarche universelle. Nous sommes tous des émigrés
de quelque part, de quelque chose”.

Cette approche de l’imaginaire illustrera de nombreux
autres films comme Un Thé au Sahara, de Bertolucci,
Le Soleil même la nuit, des frères Taviani, Nostalgia,
de Tarkovski, ou l’adaptation de Les possédés
de Dostoïevski par Wajda.

L’illustrateur mondialement reconnu cache en fait un
peintre remarquable. Les thèmes principaux sur lesquels
il travaille en ce moment sont «la femme»
et «le temps».

“Easpect charnel de mes nus est estompé au bénéfice
de l’expression très particulière de mes modèles. Les corps
lumineux, diaphanes, les yeux mi-clos, la mise à nu et
la pudeur, créent une atmosphère quasi religieuse.

Mes femmes viennent de l’ombre vers la lumière.
Elles sont la lumière, la pudeur, la dignité, le mystère.
Ces tableaux sont pour moi les icônes de la féminité”.

Et le temps ?

“Mes horloges, en revanche, je les vois comme des icônes
dérisoires, absurdes, du temps qui passe, qui s’en va, mais
qui reste ; qui guérit du rêve, qui guérit même de la vie”.

Diplômé de l’école des Beaux-Arts de Varsovie,
Andrzej Malinowski quitte la Pologne en 1973 pour
s’installer à Paris. “J’avais un besoin, plus fort que tout,
de voir ailleurs, de partir, d’être mon propre Oncle
d’Amérique. Partir c’était espérer…”.

Après plusieurs années à Paris où il a peint toute une
série de grands paysages, il découvre tout naturellement
le Val d’Oise :

“Autant de verdure aussi proche de Paris, c’était incroyable!
Dans cette région, je pouvais me perdre dans la nature
sans vraiment quitter la capitale. J’aime avoir cette double
sensation d’être si isolé et si proche des autres. J’aime aussi
les grands et petits plaisirs de pouvoir rentrer chez moi
par des chemins détournés, me balader dans les bois tout
proches, respirer le vent des champs, voir de mes fenêtres
le paysage à perte de vue, si changeant au gré du temps
et de la lumière. J’aime me sentir enraciné dans la terre
et contempler l’espace. J’aimerai un jour, dans mes
tableaux piéger ces instants, leur donner l’illusion
d’une éternité, d’une intemporalité…”.

Quand on lui demande sa maxime préférée,
Andrzej Malinowski opte pour celle de Soichiro Honda :

“La valeur de la vie ne peut se mesurer que par le nombre
de fois où l’on a éprouvé une passion ou
une émotion profonde”.

N° 113 – Janvier-Février 2009
par Geneviève Roche-Bernard

Tout le monde connaît – peut-être sans le savoir – au
moins une œuvre d’Andrzej Malinowski : l’affiche
réalisée pour Le Grand Bleu nommée aux Césars du
Cinéma en 1988…

C’est forcément réducteur, comme si l’on ne connaissait
de Beethoven que l’Hymne à la joie ou la Sonate au Clair
de lune; ou de Chopin la Marche funèbre ou la Grande
valse brillante…

Fidèle à son rôle «d’agitateur de neurones» mais aussi
de pédagogue, le Musée d’Art et d’Histoire Louis Senlecq
présente la première rétrospective consacrée, dans un
musée français, aux travaux les plus récents
de cet artiste hors du commun.

Car telles sont les missions d’un conservateur : donner
à voir, faire découvrir, partager et permettre de s’enrichir.

Mûri depuis deux ans, l’accrochage s’organise en trois
grands volets (Byzance, Silence, Essence), dont les titres,
sont à eux seuls, un voyage. Un voyage dans l’histoire
de l’art et les références incontournables aux grandes
créations : l’Antiquité, tout d’abord, avec le poli, froid et
nacré emprunté au marbre de quelque Vénus accroupie
(Écho, 2007) ; Byzance, avec ses fonds d’or qui
transforment les figures féminines et les haussent
au niveau d’icônes, «symboles intemporels d’espoir,
de bonheur, de pudeur, de charme et de mystère» ;
certains décors latéraux, rinceaux végétaux en léger
relief évoquent quand à eux les cuirs estampés, en
vogue à la Renaissance.

Cette opulente chevelure, digne de quelque Vénitienne,
c’est le Titien bien sûr… Et la petite danseuse (Aurore,
1998) a toute la grâce d’un Degas…

Quant à la perspective ouverte dans ce parc à la
française (Passage, 1996), elle n’est pas sans rappeler
certains clichés réalisés par Atget à Sceaux, Saint-Cloud
ou Versailles.

Il n’est pas de création artistique qui ne se nourrisse, peu
ou prou, des «Maîtres» – l’actualité culturelle est
là pour nous le rappeler – ou en tous cas des
prédécesseurs.

Malinowski a fait siennes ces sources d’inspiration, lors
de sa formation autodidacte, puis lors de ses études à
l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, à partir de 1967.
Il en résulte le plus souvent une alchimie mystérieuse,
parfois même un peu inquiétante comme dans ses
paysages. Cette impression – ou plutôt cette émotion –
est renforcée par la technique employée : la peinture à
l’acrylique, qui confère aux figures un aspect poudré,
comme le ferait un aérographe et nimbe les sujets d’une
luminosité particulière comme si la scène était éclairée
par des spots.

La finition des toiles, dans la pure tradition de la
peinture à l’huile, exacerbe le détail et l’on cherchera
vainement un défaut dans l’or flamboyant d’une mèche
qui se pare de tous les reflets de l’or flamboyant, le poli
d’un ongle, le reflet d’une étoffe de soie – digne d’un
soyeux lyonnais – la blancheur d’une jupe de coton,
comme décroché à l’instant de la corde à linge…
Les dentelles ou les gazes possèdent, à elles seules,
une précision toute photographique.

Le public adamois, davantage habitué à la touche grasse
de la peinture à l’huile et aux impalpables glacis des
œuvres du XIX e siècle aura sans doute été dérouté par
cet accrochage… Il ne faut pourtant pas s’arrêter à une
première impression, due sans doute
à un grand nombre de figures féminines – on regrettait
lors de l’inauguration, et unanimement, le trop petit
nombre de paysages – un manque de recul pour les
grands formats, parfois écrasés par manque de recul
ou un plafond un peu bas… Les cimaises du Centre
Lartigue se prêtent évidemment davantage – et mieux –
à la présentation de moyens formats.

Il faut revenir, et peut-être plusieurs fois : l’œuvre de
Malinowski n’est pas celle que l’on peut appréhender
et apprécier à sa juste valeur à la première visite.

Deux surprises sont réservées au visiteur, en fin
de parcours : récompense ou mise en bouche ?
Deux superbes dessins, aux deux crayons – l’artiste
et son épouse – qui se font face, deux regards qui se
répondent. La technique au crayon ne pardonne pas,
et l’on saisit, avec ces deux pièces, tout à la fois l’art
consommé de Malinowski, mais aussi sa spontanéité
et sa quête du Vrai. À eux seuls, ils dévoilent
sa personnalité : une exigence et une recherche
constante de la perfection qui transparaissent dans
la nervosité et la précision du trait. Pour autant,
il émane de ces deux portraits, une grande douceur
et une émotion très forte.

Tout à côté, dans la pénombre d’un espace vidéo,
l’artiste nous invite à participer, dans le secret de son
atelier à la blancheur presque chirurgicale, à la création
d’un tableau. Néophytes et amateurs, adultes et enfants
seront subjugués par la qualité de ce petit film qui
montre, étape par étape, le travail du peintre.

“Si, – dit Malinowski – les gestes doivent rester très
organisés, structurés et rythmés comme le tic-tac d’une
horloge», l’émotion n’est pas absente de ce reportage
comme millimétré : il suffit pour s’en convaincre, d’arrêter
son regard sur le paysage vexinois qui scande les diverses
étapes de création, et de façon plus fugace, sur un doigt
qui estompe une couleur à la surface de la toile.

La dernière salle est consacrée aux paysages…
Cette pause verdoyante repose l’œil de toute cette
flamboyance… Mystérieux et oniriques, ils nous livrent
une autre facette de celui que l’on a appelé un peu trop
vite et un peu trop légèrement «le peintre des rousses»”.

Nous sortons de là comme un peu orphelins, ou en
manque… de Nature, certainement, d’autre chose
peut-être : en savoir plus sur cet artiste, qui à l’abri des
«modes» a su développer un style qui lui est propre,
mais où chacun d’entre nous peut y trouver une
résonance.

Et n’en déplaisent à ses détracteurs, oui, l’hyperréalisme
peut faire rêver… Laissons-nous simplement
(trans)porter…


DES MOTS
POUR LA ROUTE

Prends la route
bâtis une maison 
élève un enfant
plante un arbre
fais parler ton âme
ta vie en vaudra la peine
si tu n’y arrives pas
les autres le feront
à ta place
tu seras comblé

Andrzej Malinowski

05-min