Interview

Extraits d’une interview entre
Andrzej Malinowski et Frédéric Chappey,

conservateur du musée d’art et d’histoire Louis Senlecq (mai 2004).

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Les allégories, les ailes, les drapés qui s’envolent,
est-ce toujours de l’«art contemporain» ?
Je pourrais dire que «oui» en toute ingénuité, puisque
je suis contemporain du monde dans lequel je vis,
en m’adressant à mes contemporains à travers
mon œuvre.

Hélas, la mainmise des héritiers illégitimes
de l’Art Moderne a transformé l’expression
«Art Contemporain» en «logotype breveté»
d’un modèle exclusif d’une pensée et d’une action.

Le modèle qui nous est proposé ou plutôt imposé
par les «designers d’un goût officiel», m’indispose
sur de nombreux points.

Les révolutions n’apportent que la destruction ;
les nouveautés sont si souvent dérisoires et
éphémères;les manifestes sonnent creux.

Dans l’œuvre d’art, ce n’est pas l’objet en lui-même,
ni la philosophie qui l’accompagne mais
sa MAGIE RARE (loin d’être acquise d’office)
qui lui donne sa valeur inestimable.

Cette magie n’a pas besoin d’un «POURQUOI».

Elle a besoin par contre de repères historiques
et culturels, d’une certaine communion des esprits.

Or il y a un monde entre le «désir de s’envoler»,
«d’être
capable de fabriquer ses ailes, apprendre à voler»
et «pouvoir emmener les autres dans son délire très
loin et très haut, à travers les cultures et le temps».

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Concrètement, il y a plusieurs niveaux de qualité
d’engagement artistique. Il y a l’engagement de celui
qui se déclare artiste parce qu’il a des choses
«pertinentes» à dire et dans la majorité des cas, dénie
la transformation de ses idées en chef d’œuvre, laissant
cette «basse besogne» aux suiveurs et artisans.
Cette vision n’est que «l’enflure du petit moi
du soi-disant artiste» (Jean-Louis Harouel).

Dans la seconde posture, Il y a celui qui consacre toute
sa vie et toute son énergie dans l’apprentissage et le
perfectionnement de son savoir, de traduire ses
pensées
et ses émotions par la matière et l’image ainsi figée.

La noblesse de ce choix est contraire à une mise
en scène personnelle, d’une pose narcissique.
Elle demande à l’artiste un déni de soi, une patience
et un courage sans bornes et sans fin…

La vraie valeur de l’œuvre est le fruit de cet engagement,
la valeur infiniment supérieure à une production
cynique constamment mise à jour et usinée à la chaîne
pour combler les grandes surfaces du marché de l’art.

Enfin dans les cas rarissimes et exceptionnels – et nous
ne serons plus de ce monde pour en juger – il y a celui,
dont l’œuvre par sa seule puissance visuelle, se libère
de son époque, de son anecdote, et devient une source
inépuisable des émotions de curiosité, de plaisir
à travers le monde et les époques…

Sur ce pouvoir «d’emmener l’autre avec soi» devrait
se baser l’estimation de la qualité d’une œuvre,
de sa pertinence et de sa performance.

LA PUISSANCE D’ÉVOCATION D’UN TABLEAU SE TROUVE
DANS LE VISUEL QU’IL CONTIENT ET DANS LA MAGIE
D’UN OBJET SAVAMMENT RÉFLÉCHI ET TRAVAILLÉ.

AUCUNE THÉORIE NI AUCUN DISCOURS
NE PEUVENT REMPLACER CELA.

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JE NE CROIS PAS QUE LA RÉFLEXION PRIME
SUR L’ÉMOTION, QU’UN REGARD DÉSENCHANTÉ
VAUT MIEUX QU’UN REGARD ENCHANTÉ,
QUE LE NOUVEAU EST FORCÉMENT MEILLEUR
QUE L’ANCIEN.

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J’évite donc tout ce qui pourrait me classer dans une
«démarche contemporaine type». Le «nouvisme»
et «l’avant-gardisme» ne sont, selon moi, qu’une
illusion myope, une prétention à court terme.

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Le mouvement «en avant»
n’existe pas dans la création; le

«progrès» s’il y en a un, forme une
Spirale, un éternel retour aux
choses.

Tout ce qui vient d’être fait a déjà
été fait d’innombrables fois, et il
sera recommencé sans fin, parfois
en mieux, parfois en moins bien.

Pour moi, l’art est une manière de vivre face
aux Autres, pour les Autres ;
c’est créer un pont d’émotions communes.

C’est une contrainte d’asservir L’IDÉE
à sa fonction première d’un GERME DONT
NOUS NE SOMMES PAS LES PROPRIÉTAIRES.

Etre Artiste suppose l’obligation d’humilité face à tout
ce qui a été créé à travers les siècles, l’obligation
de reconnaissance pour l’héritage à transmettre.

Et même si les lumières des projecteurs sont trop
souvent braquées vers des démarches d’un autre type,
il faut CROIRE à une démarche sincère,
à l’émotion vraie, au plaisir de recevoir et de donner,
toujours et encore.

Que faire dans un monde
où ceux qui parlent vite et fort
font de l’ombre à ceux qui chantent
doucement et de belle manière ?

CHANTER ENCORE PLUS DOUCEMENT
DE LA PLUS BELLE MANIÈRE QU’IL SOIT.

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Pourquoi avoir choisi les trois sujets : 
le temps, le paysage, la femme ?

Je peins les paysages comme s’ils étaient des femmes,
je peins les femmes comme les paysages, les horloges
comme les paysages à travers le temps et la féminité.
Je crée des sculptures composées de pages d’Ecriture
qui s’entrouvrent sous nos regards comme
les mystères de la féminité.

En fait, mon travail concerne le même sujet.

Le thème de la femme dans l’art est universel
et éternel, sa richesse est sans limite.

Je suis loin de me limiter à une simple contemplation
des formes féminines, tout en étant parfaitement
conscient du puissant appel qu’elles peuvent provoquer.
Je multiplie donc les efforts pour exprimer de mon
mieux la beauté de la Femme, elle est mon Alliée dans
mon besoin de subjuguer le regard de mon spectateur.

Mes efforts vont plus loin, je m’acharne à amener
le résultat aux confins du sublime, pour que le regard,
une fois piégé, soit stoppé par un sentiment
d’intouchable ; alors la Magie opère, la femme-modèle
n’est plus, la Divine apparaît.

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Cela va au-delà du fait que je peins les femmes comme
je voudrais qu’elles soient.

Je pars à la recherche de ce que je pourrais appeler
«l’idolâtrie profane».

Je dois être séduit à tout jamais par l’imagerie
millénaire des déesses de Byzance, de la Grèce et de
la Rome antiques, des symbolistes de la fin du XIX e ,
des Stars glamour en noir et blanc de la Photographie
et du Cinéma, des défilés de la Haute Couture…

L’envoûtement est toujours similaire, la Séduction
s’oppose à l’interdit ou à l’inaccessible.

C’est peut-être cette opposition qui participe de concert
avec le Beau au rayonnement du Transcendant.

Dans mes tableaux, les fonds dorés à la manière des
Icônes Byzantines, les lumières émanant des corps,
les têtes auréolées, les envolées des drapés et enfin
les ailes suggérées sont autant de métaphores pour
illustrer ce rayonnement.

Mes Belles apparaissent, venant de l’Ombre vers
la Lumière, telles des Symboles intemporels d’espoirs,
de bonheur, de pudeur, de charme, de mystère…

J’AIMERAI QU’ELLES APPORTENT,
À CELUI QUI VEUT,
DES BRASSÉES ENTIÈRES
DE SÉRÉNITÉ, D’HARMONIE ET DE BONHEUR.

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Quelques mots sur votre technique et la manière 
de travailler ?

Le choix de mes thèmes est longuement réfléchi
et soigneusement «mis en scène». Ensuite vient
la création d’harmonie des couleurs et des matières
correspondant à la composition.

Le choix d’un modèle est capital, non seulement
pour sa beauté mais aussi pour sa grâce, sa patience,
ses capacités à «jouer un rôle». Les drapés et leur
confection jouent un rôle important.

Le travail des dessins préparatifs peut prendre
des semaines. Il m’arrive d’avoir dans les cartons
des maquettes qui attendent des mois entiers,
tant il m’est difficile d’être sûr qu’il ne manque rien
à la composition.

La préparation des toiles et des couleurs est
également longue et méticuleuse. La toile est sans
nœud et son grain est suffisamment fin pour ne pas
déranger le subtil grain de peau de mes personnages.

Je prépare moi-même les mélanges de couleurs,
cela peut prendre plusieurs jours, mais cela en vaut
la peine.

Ma peinture se compose de dizaines de couches
résineuses et transparentes nécessitant à chaque
fois un séchage complet. C’est la technique du glacis
de la peinture flamande qui permet d’obtenir l’effet
troublant d’une surface vivante de la peau.

Les surfaces métallisées sont obtenues avec des
poudres ou à la feuille en plusieurs nuances.
La surface ainsi obtenue a une capacité d’apparaître
ou de disparaître aux yeux du spectateur selon
l’éclairage mouvant.

Après tout, l’Art n’est qu’un Artisanat sublimé
par l’alchimie du vécu, du savoir, de l’imagination
et des émotions.

A ceux qui veulent connaître davantage mes secrets,
je me plais à répéter que surtout et avant tout,
le médium principal et irremplaçable est «l’huile
de coude».